Ils dominent l’espace digital, font la pluie et le beau temps sur leurs réseaux socionumériques et leurs produits (plateformes, applications, smartphones, tablettes, chaînes numériques, etc.), décident de censurer des contenus ou de bloquer, voire de bannir, des utilisateurs, de vendre nos données personnelles et d’influencer le processus électoral des États démocratiques.
Depuis le début de ce 21e siècle, l’hégémonie des Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ou des Natu (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) aux États-Unis et des Batx (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) en Chine ne cesse de grandir aux quatre coins du monde et rivaliser avec celle des États.
Elon Musk (patron de X, ex-Twitter), Mark Zuckerberg (le «boss» de Meta), Bill Gates (cofondateur de Microsoft), Jeff Bezos (propriétaire d’Amazon), Pichai Sundararajan («CEO» de Google) et Tim Cook (P-DG d’Apple) sont accueillis par les présidents et les chefs de gouvernement qui leur déroulent le tapis rouge et leur offrent les apparats protocolaires réservés aux souverains et aux chefs d’État.
Toutefois, les bêtes dirigées ou enfantées par ces nouveaux maîtres du monde ont de plus en plus d’emprise sur le quotidien de milliards de citoyens ultraconnectés, provoquant une certaine dépendance quasi pathologique, et ont tendance à affecter la liberté d’autodétermination des individus, faisant tirer la sonnette d’alarme sur la souveraineté numérique des nations.
Mais voilà, à chaque panne ou bug mondial des services ou produits dérivés de ces mastodontes des Ntic (nouvelles technologies de l’information et de la communication), les internautes réalisent la vulnérabilité de ces «Frankeinstein» des temps modernes et la nécessité d’un plan B à ces plateformes et aux serveurs étrangers qui hébergent nos sites web et services mobiles ainsi que ceux de nos institutions gouvernementales (ministères et agences).
Ce fut le cas, avant-hier, quand un vent de panique générale a soufflé sur Internet : quelque 3,19 milliards d’utilisateurs des plateformes du groupe Meta ont été privés des services de Facebook, de sa messagerie Messenger, d’Instagram et du jeune concurrent de X, Threads. Il s’agit d’un bug (panne) mondial, pendant plus de deux heures.
Et on apprend aussi qu’à un moindre degré, une interface utilisée pour l’application «WhatsApp Business» a connu des problèmes de fonctionnement.
Un porte-parole de Meta Platforms Inc., Andy Stone, a indiqué sur le réseau social X qu’un « problème technique a provoqué plus tôt aujourd’hui des difficultés pour certains à accéder à plusieurs de nos services. Nous avons résolu le problème », sans donner de précisions sur l’incident.
Les perturbations ont débuté autour de 15 heures, connaissant ensuite un pic avec quelque 550.000 signalements d’une panne de Facebook et environ 92.000 pour Instagram, selon le site internet Downdetector.com, qui répertorie de telles pannes.
Et ce n’est pas la première fois que le réseau social de Mark Zuckerberg fait face à une panne massive.
Fin 2021, un précédent bug avait duré plus de six heures. Un pépin sans précédent pour le géant de Menlo Park (Californie).
Dans un communiqué, le réseau des réseaux avait fait savoir que l’origine de ce problème n’était pas due à un piratage mais à un «changement de configuration défectueux» au niveau du «network» (réseau) permettant à ses serveurs de communiquer entre eux.
En octobre 2022, la très populaire messagerie WhatsApp, rachetée par Facebook en 2014 pour plus de 19 milliards de dollars, avait par exemple subi une interruption conséquente.
Un an plus tard (en 2023), toujours en octobre, les quatre services du groupe Meta avaient été affectés par un bug sans précédent : plus de 5,6 millions de signalements à l’échelle mondiale ont été recensés par «Downdetector» en une heure.
Certes, les plateformes sont sujettes à des pannes momentanées, mais celles de plus grande ampleur rappellent l’importance qu’elles ont pris non seulement sur le business de plusieurs (T)PME — (Très) petites ou moyennes entreprises —, commerçants, artisans et dans la vie quotidienne de milliards de terriens, mais aussi sur la communication politique et institutionnelle dans la majorité des pays, touchant même la sphère décisionnelle.
Cette nouvelle doctrine monolithique des géants du numérique soulève des enjeux éthiques, politiques, économiques et stratégiques, notamment à propos de l’utilisation des données personnelles fournies par les utilisateurs.
En 2015, on se souvient du tsunami politique provoqué par le scandale «Cambridge Analytica» impliquant Facebook. Une onde de choc planétaire qui a mis en lumière l’utilisation frauduleuse des données personnelles des utilisateurs par des sociétés privées.
Pis encore, deux ans plus tôt, en 2013, l’affaire Edward Snowden avait braqué les feux des projecteurs sur les risques liés à la gouvernance des écosystème numériques comme en témoigne la révélation d’écoutes massives par la NSA (Agence nationale de la sécurité), un organisme gouvernemental du département de la Défense des États-Unis.
Nul doute, les Gafam, les NATU et les Batx dominent l’Internet mondial sur lequel ils exercent une profonde influence. Mais le temps n’est-il pas venu d’ouvrir le débat de la souveraineté digitale, qui vise à redonner l’indépendance numérique des États et le contrôle des données aux entreprises, aux particuliers et aux agences gouvernementales mandatées pour assurer la cybersécurité des individus et des espaces privés ou étatiques ?
Comme le disent si bien Eric Schmidt et Jared Cohen dans leur ouvrage «The New Digital Age» (Éditions Knopf, 2013, trad. À nous d’écrire l’avenir, Paris, éd. Denoël, 2013, p. 11) : «Internet est l’une des rares créations de l’homme qu’il ne comprend pas tout à fait (…). C’est la plus grande expérience d’anarchie de l’histoire (…), à la fois source de bienfaits considérables et de maux potentiellement terrifiants, dont nous ne commençons qu’à peine à mesurer les effets sur le théâtre mondial. »
À l’ère du «Cloud computing » (informatique dans le nuage : une forme de stockage de données à distance et en ligne-Ndlr) et de l’émergence de l’IA (intelligence artificielle) sur fond de cyberattaques et de banditisme numérique (hameçonnage, cyber-rançonnage, piratage de données, etc.), il est temps de penser à notre souveraineté digitale. Des pays comme la Chine et les États-Unis ont leurs propres plateformes et serveurs de stockage de données. C’est une question de sécurité nationale. Pourquoi pas nous ?